Face aux médicaments, l’homme et la femme bien différents
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Par Michèle Sirois, collaboratrice du programme AvantÂge de l’Institut universitaire de gériatrie de Montréal.
Nous savons depuis toujours que la femme et l’homme sont bien différents et ce, à plusieurs égards. L’auteur John Gray écrivait même dans son « best seller » que l’un venait de Mars et l’autre de Vénus ! La Dre Cara Tannenbaum*, qui présentait une conférence le lundi 26 mars à l’Institut universitaire de gériatrie de Montréal, nous apprenait que nos différences s’étendaient même jusque dans notre manière de réagir face aux maladies et aux médicaments.
Différents face aux maladies…
Notre génétique, nos hormones sexuelles ainsi que nos habitudes de vie propres à notre sexe et à notre genre (nos rôles et traits de personnalité attribués par la société) nous rendraient plus ou moins vulnérables à certaines maladies.
Par exemple, les femmes reçoivent deux fois plus de diagnostics de dépression que les hommes. Cependant, quatre suicides sur cinq sont commis par des hommes. Est-ce que cette différence est liée à la biologie ou la culture? C’est difficile à dire. Mais, fait intéressant, les gènes associés à la dépression s’expriment différemment chez les souris mâles et les souris femelles.
La douleur chronique est également plus présente chez les femmes. Ici aussi, les mécanismes de la douleur ne seraient pas activés par les mêmes cellules chez les femmes que chez les hommes.
Or, les médicaments sont testés majoritairement (80 %) sur des animaux mâles. Même lorsque les femmes sont incluses dans des études cliniques, les résultats ne sont généralement pas analysés séparément pour les hommes et les femmes. On pourrait donc penser que les médicaments développés pour traiter certains problèmes de santé ne conviennent pas parfaitement aux femmes.
…et face aux effets secondaires
Et les inégalités ne s’arrêtent pas là. La biologie et la physiologie des femmes augmentent aussi les risques d’effets nuisibles des médicaments. Mais pourquoi ? D’abord, les femmes sont sujettes à présenter un plus haut pourcentage de gras corporel que les hommes. Et plusieurs médicaments ont tendance à s’accumuler dans le gras. De plus, les reins de la femme sont plus petits que ceux de l’homme, ce qui influence l’élimination des médicaments. Enfin, les femmes ont souvent un plus petit poids que les hommes. La même dose d’un médicament peut alors avoir un effet plus marqué chez la femme. Par exemple, 8 heures après la prise du Sublinox, un somnifère, sa concentration dans le sang est jusqu’à 45 % plus élevée chez la femme. Cette découverte a mené à un avis de Santé Canada recommandant l’utilisation d’une dose réduite de moitié pour les femmes !
De plus, les femmes vivent plus longtemps que les hommes. Elles risquent ainsi de développer des maladies chroniques qui nécessitent des traitements par la médication. Et qui dit polymédication dit augmentation des risques d’effets nuisibles.
Devant ces constats, la chercheuse lançait une question à l’auditoire : Devrions-nous utiliser des médicaments différents chez les hommes et les femmes ?
Vers des médicaments personnalisés ?
Certaines entreprises ont saisi ces différences et présentent déjà des médicaments dits « sexospécifiques » en ajustant la dose en fonction du sexe. Les médecins quant à eux seront de plus en plus en mesure de nous faire des recommandations « sexospécifiques ». Par exemple, on sait maintenant que l’ASA (aspirine) est efficace pour réduire les risques d’infarctus du myocarde chez l’homme diabétique sans antécédent de maladie cardiovasculaire, mais non… chez la femme.
Avec la volonté des médecins et de l’industrie pharmaceutique ainsi que la curiosité et la collaboration des patients, la conférencière espère qu’un jour la médecine sera en mesure d’offrir à tout coup le bon médicament, à la bonne personne, avec la bonne dose et au bon moment.
Mais en attendant ce jour, Dre Tannenbaum avait quelques rappels à nous faire concernant notre consommation de médicaments.
Des médicaments en excès
Au Canada, 66 % des personnes âgées de 65 ans et plus ont plus de 5 médicaments à leur actif … sans compter les suppléments et vitamines ! Cette statistique peut s’expliquer. En effet, c’est en vieillissant que nous avons le plus besoin de médicaments car c’est à ce moment de notre vie que certains problèmes de santé peuvent apparaître comme par exemple l’hypertension, l’arthrose ou le diabète de type 2. Malheureusement, c’est aussi lorsqu’on vieillit qu’on devient plus sensible aux médicaments. Ces derniers séjournent plus longtemps dans notre corps; notre foie et nos reins les éliminent moins bien. Et pour en rajouter, notre cerveau est lui aussi plus affecté par la médication.
Parmi les effets nuisibles des médicaments chez les personnes qui vieillissent, notons entre autres les chutes, les fractures et les problèmes de mémoire.
Exemples de médicaments qui augmentent les risques de chute :
- Les antipsychotiques
- Les somnifères
- Les antihypertenseurs
Médicaments qui affectent la mémoire et les autres fonctions cognitives (entre autres l’attention, la concentration, la planification) :
- Somnifères
- Antihistaminique (ex : Gravol®, Benadryl®))
- Opioïdes
- Certains antidépresseurs
- Médicaments utilisés pour traiter l’incontinence urinaire
C’est pourquoi la médecin gériatre en appelait à la vigilance en nous conseillant de réduire ou d’arrêter certains de nos médicaments qui n’ont plus d’effets bénéfiques ou qui peuvent être nuisibles. Elle encourageait l’auditoire à pratiquer la « déprescription » au profit d’alternatives efficaces et plus sécuritaires.
Comment diminuer le nombre de médicaments que nous consommons ?
Voici quelques questions à poser à un professionnel de la santé qui peuvent nous aider à diminuer le nombre de médicaments que nous consommons :
- Pourquoi je prends ce médicament ?
- M’offre-t-il toujours les bénéfices voulus ?
- Quels sont ses risques potentiels pour ma santé ?
- Est-ce que ce médicament peut affecter ma mémoire ou me faire chuter ?
- Est-ce que je peux arrêter ce médicament ou en réduire la dose?
- Y a-t-il un traitement alternatif efficace et sécuritaire pour prendre soin de mon problème (comme un changement dans mes habitudes de vie) ?
ATTENTON : La diminution de la dose d’un médicament ou son arrêt doit toujours se faire en collaboration avec son médecin, son pharmacien ou son infirmière. Il existe, entre autres, des méthodes bien précises pour se sevrer d’un médicament.
La Dre Tannenbaum, généreuse de statistiques, de mises en garde et de conseils, aurait pu garder son auditoire captif encore longtemps. Mais ses nombreuses autres tâches l’appelaient. Elle a laissé ce lien à visiter pour poursuivre notre exploration :
Réseau canadien pour la déprescription
www.deprescribingnetwork.ca/fra
Ce site regorge d’informations, de quizz et de brochures téléchargeables qui sauront assurément nous soutenir à être de bons partenaires de notre santé.
*La Dre Cara Tannenbaum est médecin gériatre; chercheuse au Centre de recherche de l’Institut universitaire de gériatrie de Montréal; directrice scientifique de l’Institut de la santé des femmes et des hommes; professeure titulaire à la Faculté de médecine et la Faculté de pharmacie de l’Université de Montréal de même que titulaire de la Chaire pharmaceutique Michel-Saucier en santé et vieillissement.