Il faut donner. Point.
|Entrevue
À l’occasion de la Journée de la philanthropie, qui coïncide avec l’anniversaire de la Fondation Luc Maurice, nous avons rencontré son directeur général Matias Duque, afin de savoir comment se porte l’organisme ainsi que le milieu philanthropique au Québec. En 7 ans d’existence, la Fondation Luc Maurice a redonné plus de 8 millions de dollars à des causes qui partagent sa mission, soit celle de contribuer au mieux-être et à l’épanouissement des personnes plus âgées du Québec. Si donner n’est pas toujours un réflexe, il le deviendra certainement après ces quelques lignes !
Matias, qu’est-ce que la philanthropie pour vous ?
Ah ça, c’est une grosse question. À la base, la philanthropie, ça vient de « l’amour de l’homme » : « philos » pour « aimer », puis « anthropos » pour « être humain ». Dans le fond, c’est un réflexe humaniste, qui se traduit aujourd’hui par la générosité.
Si on oublie la sémantique, c’est le fait de partager nos ressources avec celles et ceux qui en ont moins, pour les aider à s’élever. Pour qu’on s’élève ensemble comme société. L’objectif le plus important selon moi, c’est d’essayer d’amener un changement social via une redistribution de la richesse.
Est-ce que ça doit nécessairement passer par l’argent ?
Non, absolument pas. Être philanthrope, c’est avoir des ressources — que ce soit de l’argent, des connaissances ou des biens matériels —, et les partager. Faire une grosse épicerie, cuisiner des plats et en offrir à ses voisins qui en ont besoin, ça compte aussi ! Tout compte.
Faire don de soi, de son temps, c’est aussi de la philanthropie. Un avocat pourrait décider d’aider gratuitement des personnes qui n’ont pas les moyens de se payer de l’aide juridique. La philanthropie, c’est tout simplement un élan de générosité, c’est le désir d’aider les autres qui vivent une réalité moins facile que la nôtre.
Est-ce qu’être « généreux de nature » est un mythe ? C’est un comportement inné ou acquis d’après vous ?
Ma théorie est qu’il y a beaucoup de comportements innés. La personnalité des gens se retrouve sous-jacente à toute action. On naît avec une prédisposition à être généreux ou avare, introverti ou extraverti, etc. On arrive sur Terre avec un certain bagage génétique de réflexes qui sont conditionnés par la façon dont notre cerveau est créé. Ça, c’est la base.
Maintenant, il y a aussi de l’acquis qui entre en ligne de compte. On reproduit souvent les comportements familiaux, culturels ou sociaux auxquels on a été exposé. Si vos parents font beaucoup de bénévolat, vous allez être porté à en faire parce que c’est ce que vous avez appris.
Est-ce que la philanthropie se porte bien au pays ?
Il y a des choses très positives qui se passent au Canada, mais on fait aussi face à des défis importants. L’an dernier, 83 % des personnes qui ont rempli une déclaration d’impôts n’ont déclaré aucun don. Entre 2017 et 2021, au Québec, on a constaté une diminution du nombre de dons de 2,7 %.
On ressent encore les conséquences de la pandémie, en plus de l’augmentation du coût de la vie. Les gens ont financièrement plus de craintes. Heureusement, de grands donateurs ont repris le relais : il y a peut-être eu moins de dons, mais la quantité en dollars a augmenté. C’est une bonne nouvelle.
Pourquoi, selon vous, la philanthropie serait-elle donc moins présente dans la mentalité des Québécois ?
Entre autres parce qu’ils considèrent que la redistribution de la richesse se fait déjà à travers l’État. En fait, plus un pays a un système social développé, incluant des filets de sécurité pour les personnes moins nanties, moins la philanthropie occupe une place prépondérante dans la mentalité de la population.
C’est un réflexe normal : on paie justement des impôts pour ça. On a simplement qu’à regarder ce qui se passe chez nos voisins du sud, où les gens en paient moins et où le filet social est peu développé. La philanthropie y prend alors naturellement une place plus importante. Personne ne peut se ficher de la détresse humaine. Il faudrait avoir un cœur de pierre pour ça. Dans tous les pays, les cultures ou les religions, aimer et redonner à son prochain est un principe de base. L’entraide est et sera toujours ce qui sauvera le monde.
Qu’est-ce que ça prendrait pour encourager les gens à donner davantage ?
Avant de jeter le blâme sur les individus, il faut d’abord savoir que les organismes ont la responsabilité de solliciter les donateurs. Il faut mettre énormément d’efforts dans la collecte de fonds. Ce n’est pas facile, mais si on veut que la population soit plus généreuse, les organismes ont le mandat de « demander » davantage. C’est la fréquence qui fait une différence dans la quantité de dons. Mais trop souvent, les OBNL n’ont pas assez de moyens ou de ressources internes pour en faire plus. C’est là où le bât blesse.
Par ailleurs, il faut continuer à sensibiliser les gens à la détresse humaine, à l’importance de faire sa part en vue d’un monde meilleur. Ça prendrait plus de leaders positifs et influents, comme Luc Maurice, par exemple. C’est grâce à lui si Le Groupe Maurice est une organisation aussi humaine aujourd’hui. C’est un homme fondamentalement généreux. La Fondation existe à cause de cette grande qualité qui lui est propre. Il montre l’exemple et on a besoin de plus de personnes comme ça.
Ça fait maintenant 7 ans que la Fondation existe. Est-ce que vous êtes heureux de ce qu’elle a accompli jusqu’à maintenant ?
Oui, je suis vraiment fier. Est-ce suffisant ? Bien sûr que non. Il y a tellement à faire. Mais ce qui est encourageant, c’est qu’on progresse. On évolue. On crée maintenant nos propres projets, dont deux conjointement avec des universités. C’est énorme, ça !
On poursuit aussi nos efforts pour augmenter nos dons dits « classiques ». Dans ce créneau-là, on redistribue au-delà d’un million de dollars par année à des organisations choisies spécifiquement pour leur impact dans la société, en lien avec les aînés.
Et puis, grâce à notre programme d’appariement des dons des employés et des résidences, on double les montants recueillis lors de chaque activité de collecte de fonds au profit d’organismes locaux, en plus des dons personnels des employés. Chaque année, la participation à ces deux programmes augmente. Ça me rend vraiment heureux !
Où se concentreront les efforts de la Fondation à l’avenir ?
Même si le vieillissement de la population est l’un des plus gros défis sociaux, d’un point de vue philanthropique, c’est l’une des causes les moins soutenues. C’est là où réside toute la pertinence de la Fondation : soutenir les projets dont l’objectif est de combattre l’âgisme, une discrimination encore trop répandue dans notre collectivité.
L’avenir, pour la Fondation Luc Maurice, se retrouve donc dans la poursuite des efforts afin d’avoir encore plus de moyens pour offrir davantage de ressources et de services à la population vieillissante.
Pour ça, il faut qu’on parvienne à faire réaliser aux gens qu’il est urgent d’agir, et à convaincre nos partenaires, nos amis ou nos proches à soutenir la cause des aînés. Notre mission actuelle et future consiste à rappeler à la population l’importance de l’apport des personnes plus âgées en société. Et ces personnes, c’est aussi vous et moi dans quelques années ! Il ne faut pas l’oublier.
Que diriez-vous aux personnes qui hésitent encore à donner généreusement à une cause ?
Je leur dirais que le fait de donner est un investissement et non une dépense. Je leur dirais aussi qu’il nous coûte collectivement beaucoup plus cher de ne pas venir en aide aux personnes démunies que le contraire. Par exemple, si on pense uniquement aux itinérants, c’est tout le tissu social qui est renforcé lorsqu’on les aide à s’en sortir : nos services d’urgences peuvent mettre leurs énergies ailleurs, le marché de l’emploi récupère des personnes désirant désormais travailler, etc.
Il en va de même lorsqu’on aide les personnes plus âgées à sortir de l’isolement. Quand on leur offre des occasions de socialiser, de participer à la vie de la communauté, de se sentir utile, tout le monde en bénéficie. C’est un investissement humain en vue d’une société plus juste.
Donc, si celles et ceux qui ont la chance d’avoir des ressources en surplus en offraient ne serait-ce qu’un tout petit peu, on en serait à une meilleure place aujourd’hui, socialement. L’avenir serait plus reluisant. L’important n’est pas tant la quantité par personne que la quantité DE personnes qui donnent. Ça peut être juste cinq dollars ou quelques heures par mois en bénévolat !
Ce qui compte, c’est que le réflexe de redonner soit ancré dans les habitudes de vie. On a encore beaucoup de chemin à faire collectivement, mais je crois en la nature humaine qui, parfois cachée sous plusieurs couches de protection, est foncièrement sensible, bienveillante et généreuse.
Merci, Matias, pour cet entretien inspirant et éclairant. Mardi prochain sera la journée « Mardi je donne », une initiative mondiale pour inciter les gens à donner généreusement aux causes qui leur sont chères. Nous espérons que vous en bénéficierez grandement à la Fondation, et que vous inspirerez de futurs philanthropes !